vendredi 13 janvier 2012

En lisant Janine Nièpce

Je tiens ce blog depuis quatre ans et depuis un peu plus d'un an, je n'utilise quasiment plus que des boîtiers télémétriques 24x36. L'attrait du moyen format s'est estompé : je continue d'apprécier le gain en définition et le format 6x6, idéal pour le portrait rapproché. Mais je suis devenu plus exigeant sur la composition de mes propres photos ainsi que sur celles des autres, et j'ai fini par admettre que le ratio 2/3 est plus dynamique, plus naturel pour l'œil que celui du carré.


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Je reste très ouvert aux différents formats dans les photos des autres, mais plus mon œil "se fait" à parcourir de belles œuvres exigeantes, comme celle de Boubat, de Charbonnier ou de Jean Dieuzaide par exemple, plus il s'esquinte aussi à voir d'autres choses moins bonnes, voire pas bonnes du tout. Janine Nièpce par exemple. J'ai ici un beau livre emprunté à la médiathèque : ça s'appelle Images d'une vie. C'est édité par les éditions La Martinière, qui vont du très bon au pitoyable depuis que le succès de La Terre vue du ciel leur a permis de racheter le Seuil et de s'imposer comme un des principaux éditeurs en France.

Il y a beaucoup de belles photos dans cet ouvrage, à commencer par celle de la couverture : son père et son fils lisant, complices, Le Crabe aux pinces d'Or dans un parc. L'image est carrée, le sujet est à peu près là où il faut, le noir et blanc bien dosé, la profondeur de champ bien utilisée, l'arrière-plan fait sens... pourtant ça reste à mon goût "simplement" une image sympathique, légère, un bon souvenir. Photographiquement parlant, ça peut se vendre au format carte postale, c'est gentil comme les mises en scène de Doisneau. Mais ça ne va pas plus loin.

A l'intérieur, tant d'autres images me donnent cette même impression. Un bon nombre de belles photos, un nombre bien plus important de photos sans intérêt. Elles me donnent l'impression d'avoir été ratées : le sujet était là mais le cadrage, la composition, le moment choisi pour déclencher, l'angle... en bref il y a toujours quelque chose qui ne va pas.


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Janine Nièpce se rattrape dans les textes, sincères, très ouverts sur sa sensibilité, sur la façon dont elle a vécu certaines époques, certains événements de sa propre vie qui deviennent, parce que c'est bien écrit, des événements de la nôtre aussi. Car :
« Nous avons tous nos petites histoires qui n'intéressent personne (...) c'est pour ça qu'on se retrouve dans celles du voisin et s'il sait les raconter, finalement il intéresse tout le monde »
    Simone de Beauvoir, Les Mandarins - 1954

Finalement, peu importe qu'à mes yeux Janine Nièpce s'exprime mieux par les mots que par l'image. Son but est atteint, son art vaut quelque chose si elle a réussi à transcrire, avec les outils qu'elle s'est choisis, quelque chose qu'elle a vu pour me le faire voir par ses yeux.


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 « Je ne quitte jamais mon Leica. »

... écrit-elle, image à l'appui. Sur laquelle elle exhibe un respectable Leica M3 noir dont la peinture est usée par le temps et les mains, ainsi que quatre optiques, probablement un 35, un 50, un 90 et une autre focale. Une page avant, elle écrit un texte très juste sur la disparition de son fils en montagne, début mai 1980. La photographie peut être aussi cela, elle peut combler un vide, un manque ; comme l'écriture. D'ailleurs :


 « La photographie m'a aidé à supporter ce qui est insupportable. »

Je ne sais pas si c'est la bonne manière d'apprécier une artiste, et je m'en moque un peu. Mais j'apprécie énormément Janine Nièpce pour sa sensibilité, et je lui pardonne toutes ces images qui ne me correspondent pas sur le plan photographique, car dans l'ensemble elles expriment  — malgré ces imperfections que je leur trouve — tout ce pourquoi la photographie est si importante pour moi. 


8 commentaires:

Geoffrey A a dit…

Bonjour, je lis régulièrement votre blog et je l'apprécie de plus en plus, d'autant que la qualité des textes est toujours la.

Nicolas a dit…

Merci beaucoup Geoffrey. C'est gratifiant pour moi de voir des lecteurs comme vous franchir le pas du premier commentaire. Merci et à bientôt.

Geoffrey A a dit…

Oui c'est vrai, je me mets à votre place, et sans commentaire on a l'impression d'écrire un peu dans le vide, se demandant si quelqu'un lis.

C'est aussi pour cela que je tenais à me manifester. Afin de vous dire que je lis et regarde vos photos.

Nicolas a dit…

Oui... entre 800 et 1000 visites par semaine, des gens qui parfois me disent lorsque je les rencontre "ah mais c'est toi Nicolas du blog L'Amour télémétrique" ?
Et tout ça avec deux voire trois commentaires par semaine en moyenne !!
Bref, c'est une très bonne initiative. Merci encore. :)

Nicolas a dit…

Ayant fini hier ledit livre de Janine Niépce, je dois avouer que j'ai été un peu sévère en associant son nom à ce que j'ai appelé "des photos moins bonnes, voire pas bonnes du tout".
D'abord parce qu'à lire et à tant apprécier ce qu'elle écrit, je me suis mis à aimer de plus en plus ses images, comme d'un romancier on apprend à apprécier petit à petit la "petite musique".
Ensuite parce qu'en visitant le site internet qui lui est consacré, http://janine-niepce.com/ , je m'aperçois de l'étendu de son talent dans les différentes galeries proposées.
Même si sa photo de reportage et ses portraits sont à mon avis plus souvent documentaires que vraiment artistiques, Janine Niépce a réalisé pendant 50 ans une œuvre à part entière. Elle avait très certainement un regard sur les époques, les personnalités et les sociétés qu'elle a photographiées.

Nicolas a dit…

Avec le lien c'est toujours mieux :
http://janine-niepce.com/
;)

parisangha a dit…

Je pense que le recours plus fréquent au format 2/3 s'explique aussi beaucoup par le fait qu'une grande majorité de photos sont à ce ratio et que ça conditionne l'idée qu'on se fait de la beauté "encadrée". Il suffit de parcourir longuement un bouquin sur Cartier-Bresson pour finir par croire que c'est mieux en soi. Et puis on ouvre le bouquin sur Vivian Mayer et c'est l'inverse qui se produit. En voyant "The Artist" au cinéma, j'en suis revenu en me demandant pourquoi on ne filmait pas plus souvent avec ce format carré. Rohmer disait aspirer à s'en rapprocher le plus possible mais n'osait pas franchir le pas. D'une manière générale, il y a une perfection inhérente au format carré dans sa manière de tout pointer vers le centre de manière parfaitement équilibrée, que je trouve noble, intemporelle et élégante.

http://www.vivianmaier.com/portfolios/new-york-1/?pid=179

Nicolas a dit…

Merci pour cette très belle contribution. On pourrait parler aussi du format 4:3 qui a été celui de la télé pendant des décennies et a probablement conditionné, lui aussi, des générations de regards. C'est celui des appareils 6x4.5 et des capteurs 4/3 et micro 4/3, soit un certain nombre d'appareils photo argentiques et numériques.