dimanche 29 janvier 2012

Le déroulé du moment

« D'une façon générale, je reste fidèle à mes appareils traditionnels : pour les portraits et les reportages, un Leica M, dont j'aime le toucher — il se tient bien en main —, pour les paysages et le théâtre, un Canon avec zoom. J'expérimente assez peu les appareils nouveaux, les techniques modernes (Polaroid, panoramique, numérique). Il m'importe surtout de ne pas être encombrée de trop de matériel. J'aime voyager léger. L'appareil me sert à prendre des notes, comme un carnet — pas à exécuter une toile monumentale. Je veux pouvoir saisir très vite des instantanés, pour les retrouver au développement de la pellicule, à l'examen de la planche contact, et retracer le déroulé du moment. Aujourd'hui, alors que les possibilités techniques sont infinies pour la nouvelle génération, je reste fidèle à une méthode dite « classique ». Le cliché, lorsqu'il est retenu, est agrandi tel quel, et il n'est jamais retouché au tirage. »


— Martine Franck, in Martine Franck photographe,
catalogue de l'exposition au Musée de la Vie romantique (30 avril - 29 septembre 2002)
Paris Musées/Adam Biro 2002, pp. 30-31

samedi 28 janvier 2012

Saisir l'instant, le réel, la vie


« J'admirais les photographies d'Henri Cartier-Bresson pour leur humanisme, leur intelligence, leur sensibilité, leur dépouillement et leur graphisme. Il a bien voulu me rencontrer. « Oui, je veux être reporter », lui ai-je dit tout de suite. « Si vous arrivez à faire passer ce que vous avez dans le cœur et dans la tête dans vos images, alors vous ferez des photographies ; sinon vous ferez des documents. » J'ai retenu ses conseils que je continue à suivre : mon Rolleiflex 6x6 fut changé pour un Leica 24x36 plus léger, moins voyant, plus silencieux. J'ai pu adapter des focales différentes : grand-angle, téléobjectif. J'emploie toujours des films de même sensibilité. Je connais suffisamment la technique pour me consacrer à saisir l'instant, le réel, la vie. »

— Janine Nièpce, in Images d'une vie,
(ici un souvenir de 1954-55)
La Martinière 1995, p. 52
Voir : http://janine-niepce.com/

dimanche 22 janvier 2012

L'écho dit quoi

Portant dans les rues le slogan de "T.V.A. antisociale", environ 3 000 personnes (ce sont mes chiffres) ont manifesté mercredi 18 janvier 2012 à Saint-Nazaire. Avant et après le défilé, les gens parlaient beaucoup entre eux, il y avait quelque chose de très sérieux dans tout ça, et en même temps de la convivialité.


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C'est amusant, d'ailleurs. J'ai suivi quelques manifestations depuis que je suis ici mais celle-ci m'a étonné pour deux raisons. D'abord parce que je n'étais pas au courant qu'elle aurait lieu : j'ai juste eu le temps d'attraper le Leica et le 35mm, quelques Tri-X et de sortir bien vite. Ensuite parce que les nazairiens m'ont paru particulièrement motivés à défiler et parler pendant plus de deux heures sous la pluie, dans le vent et dans le froid. A croire qu'ils aiment ça.

Ce sont des gens rugueux, bourrus, épais. Mais aussi vivants, chaleureux, indépendants. J'ai beaucoup de plaisir à les photographier.





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samedi 21 janvier 2012

Réseaux sociaux

Rassurez-vous : je ne vais pas vous dire de me rejoindre sur Facebook, Twitter, Google+. J'ai récemment supprimé mon compte sur ces services, tout comme j'ai revendu mon iPhone 4 en septembre. Être joignable et avoir plein d'amis virtuels, ça n'est plus pour moi le grand frisson...

Et si on parlait un peu de la vraie vie ? En ce moment à Saint-Nazaire, je vais de rencontre en rencontre. Ça n'est pas qu'avant je ne rencontrais personne, mais à un moment donné il doit y avoir un "effet levier" dans les réseaux sociaux : un moment où vous avez rencontré un tel nombre de personnes qui elles-mêmes sont liées les unes aux autres par des liens divers et variés (mais réels et concrets) que vous ne pouvez plus donner rendez-vous à l'une sans en croiser trois ou quatre autres.

C'est un peu ce qui m'arrive ces derniers temps. Je reviens du "Cercle de silence" organisé chaque troisième samedi du mois dans le centre (enfin ce qui fait office de centre, c'est-à-dire le Paquebot). Je devais y voir Georges, mais je savais que Françoise y serait aussi. Le hic c'est que je ne la connaissais pas. Après avoir salué et photographié Georges, j'ai aperçu Yvon. Je l'ai salué et photographié. Sa voisine m'a demandé si j'étais bien moi, et comme je lui ai dit qu'oui, elle m'a dit qu'elle était Françoise. Vous suivez ?

S'ensuivent des discussions dans le froid et du chocolat chaud qui sort de la thermos. Yvon m'amène à une expo rue de la Paix, parce qu'on habite comme par hasard dans le même quartier. Sur le chemin, je croise une élève et un collègue... qui est aussi photographe. Je porte le Rittreck en bandoulière, que j'ai utilisé en début d'après-midi à Saint-Marc où j'ai retrouvé Stephane et Delphine, qui est une violoniste nantaise, originaire de Saint-Nazaire et exploitante d'une saline à Guérande. Stephane, je l'ai rencontré grâce à Thierry, tout comme Jasmine et aussi Laëtitia (qui fait du très bon café). Mon collègue me demande ce que c'est ce Rittreck, il me dit qu'il va chercher des infos. Je lui dis qu'il tombera sur ce blog. Google n'a pas inventé le cercle, finalement.

Quand je pense qu'avec tout ça je n'ai pas cliqué une seule fois sur un bouton "Join me", que je n'ai "favé" personne, ni même créé un compte nulle part... J'ai juste croisé des gens, on a discuté et puis je les ai pris en photo.

Au fait, j'en profite pour vous signaler que le M.R.A.P. de Saint-Nazaire, qui participe au cercle de silence, a aimé mes photos des "Enfants du Voyage". En tout cas Françoise les aime bien. Elle a donc parlé de cette série sur le site du M.R.A.P., et à mon tour je vous invite à visiter : http://mrap-saintnazaire.org/.

C'est ce que font les gens qui se rencontrent et qui s'apprécient : ils partagent leurs liens et, au bout du compte, ils forment un réseau social.

samedi 14 janvier 2012

Le temps fuit... paraît-il

Récemment, on m'a fait un beau compliment : quelqu'un que j'apprécie et que j'ai eu l'occasion de photographier plusieurs fois m'a dit que je vivais ma passion pour la photo en-dehors de toute contrainte liée au temps qui passe. Entendez : ma pratique serait l'inverse de celle d'un photographe de presse, forcément pressé.

Et je veux croire que c'est vrai. :)


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Je ne cherche pas particulièrement à me soustraire du temps qui passe, pas plus que je ne cultive la nostalgie d'époques que je n'ai pas vécues. Si parfois je donne cette impression, c'est consciemment et non sans ironie. C'était le cas par exemple lorsque la devise du blog prétendait que "C'était mieux avant", c'était le cas aussi lorsque je me suis complu dans ce qu'une amie m'avait dit à propos de mes photos : qu'elles étaient désuètes et nostalgiques.


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Le temps pour moi est primordial : le temps que je prends pour assouvir mon envie de photo, le temps de pose toujours inscrit dans un coin de mon cerveau, même lorsque je n'ai pas d'appareil en mains (c'est rare).

Mais c'est vrai : je prends mon temps, je ne subis pas d'impératifs, je ne recherche pas l'actualité. Je mise au contraire sur l'idée que mes photos vieilliront comme un bon vin, et je cultive ma passion avec autant d'attention qu'on en a pour une vigne.

Voici quelques photos des commémorations du 11 novembre sur le front de mer, à Saint-Nazaire. Je viens tout juste de les développer. Je ne vous parle même pas de Rome au mois d'octobre : la moitié des films dort encore et c'est très bien ainsi.

vendredi 13 janvier 2012

En lisant Janine Nièpce

Je tiens ce blog depuis quatre ans et depuis un peu plus d'un an, je n'utilise quasiment plus que des boîtiers télémétriques 24x36. L'attrait du moyen format s'est estompé : je continue d'apprécier le gain en définition et le format 6x6, idéal pour le portrait rapproché. Mais je suis devenu plus exigeant sur la composition de mes propres photos ainsi que sur celles des autres, et j'ai fini par admettre que le ratio 2/3 est plus dynamique, plus naturel pour l'œil que celui du carré.


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Je reste très ouvert aux différents formats dans les photos des autres, mais plus mon œil "se fait" à parcourir de belles œuvres exigeantes, comme celle de Boubat, de Charbonnier ou de Jean Dieuzaide par exemple, plus il s'esquinte aussi à voir d'autres choses moins bonnes, voire pas bonnes du tout. Janine Nièpce par exemple. J'ai ici un beau livre emprunté à la médiathèque : ça s'appelle Images d'une vie. C'est édité par les éditions La Martinière, qui vont du très bon au pitoyable depuis que le succès de La Terre vue du ciel leur a permis de racheter le Seuil et de s'imposer comme un des principaux éditeurs en France.

Il y a beaucoup de belles photos dans cet ouvrage, à commencer par celle de la couverture : son père et son fils lisant, complices, Le Crabe aux pinces d'Or dans un parc. L'image est carrée, le sujet est à peu près là où il faut, le noir et blanc bien dosé, la profondeur de champ bien utilisée, l'arrière-plan fait sens... pourtant ça reste à mon goût "simplement" une image sympathique, légère, un bon souvenir. Photographiquement parlant, ça peut se vendre au format carte postale, c'est gentil comme les mises en scène de Doisneau. Mais ça ne va pas plus loin.

A l'intérieur, tant d'autres images me donnent cette même impression. Un bon nombre de belles photos, un nombre bien plus important de photos sans intérêt. Elles me donnent l'impression d'avoir été ratées : le sujet était là mais le cadrage, la composition, le moment choisi pour déclencher, l'angle... en bref il y a toujours quelque chose qui ne va pas.


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Janine Nièpce se rattrape dans les textes, sincères, très ouverts sur sa sensibilité, sur la façon dont elle a vécu certaines époques, certains événements de sa propre vie qui deviennent, parce que c'est bien écrit, des événements de la nôtre aussi. Car :
« Nous avons tous nos petites histoires qui n'intéressent personne (...) c'est pour ça qu'on se retrouve dans celles du voisin et s'il sait les raconter, finalement il intéresse tout le monde »
    Simone de Beauvoir, Les Mandarins - 1954

Finalement, peu importe qu'à mes yeux Janine Nièpce s'exprime mieux par les mots que par l'image. Son but est atteint, son art vaut quelque chose si elle a réussi à transcrire, avec les outils qu'elle s'est choisis, quelque chose qu'elle a vu pour me le faire voir par ses yeux.


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 « Je ne quitte jamais mon Leica. »

... écrit-elle, image à l'appui. Sur laquelle elle exhibe un respectable Leica M3 noir dont la peinture est usée par le temps et les mains, ainsi que quatre optiques, probablement un 35, un 50, un 90 et une autre focale. Une page avant, elle écrit un texte très juste sur la disparition de son fils en montagne, début mai 1980. La photographie peut être aussi cela, elle peut combler un vide, un manque ; comme l'écriture. D'ailleurs :


 « La photographie m'a aidé à supporter ce qui est insupportable. »

Je ne sais pas si c'est la bonne manière d'apprécier une artiste, et je m'en moque un peu. Mais j'apprécie énormément Janine Nièpce pour sa sensibilité, et je lui pardonne toutes ces images qui ne me correspondent pas sur le plan photographique, car dans l'ensemble elles expriment  — malgré ces imperfections que je leur trouve — tout ce pourquoi la photographie est si importante pour moi. 


lundi 9 janvier 2012

Vague à l'âme au KIIIM





Dans le Finistère pour les fêtes de Noël, j'avais emporté trois bras de matériel : la panoplie Leica M (deux boîtiers et quatre optiques), le Rolleiflex... Seul mon KIIIM est sorti du sac ; à vrai dire il n'y est jamais entré.

Pour une raison que j'ignore, sur chaque rouleau de Tri-X que nous avons fait ensemble, il y a la plage. Je repense à des billets précédents, celui-ci par exemple : c'était il y a deux ans.


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jeudi 5 janvier 2012

Décès de Eve Arnold

Elle était née en avril 1912, elle vient de s'éteindre le 4 janvier 2012 à 99 ans.

Elle fut la première femme à devenir membre de plein droit de la prestigieuse agence Magnum fondée par H.C.-B. et Capa. On a tous vu et admiré ses clichés de Marilyn, dont elle s'est approchée comme aucun de ses confrères et qu'elle a suivi pendant plus de 10 ans. Elle a aussi produit de formidables reportages, en NB aussi bien qu'en couleurs, un peu partout dans le monde et particulièrement aux U.S.A. et en Asie.

Je ne l'ai découverte que le mois dernier, un peu par hasard, en achetant un de ses livres d'occasion chez un bouquiniste : il s'agit de Flashback ! the 50's, aux reproductions NB de grande qualité.

Je ne peux que vous inciter à découvrir ou à revoir les documents mis en ligne sur le site de l'agence Magnum, et en particulier cette vidéo et ce diaporama accompagné d'un texte en forme d'hommage posthume.


A lire :
L'article du New York Times est très complet (évidemment) : ici
Le blog "Lens" associé au N.Y.T. est également bien fait avec un choix intéressant de photos, diaporama plein écran etc. : ici
Je vous recommande également l'article du "Telegraph" :




On remet ça ?

L'année 2012 a commencé depuis bientôt une semaine. Je vous souhaite à tous, lecteurs assidus ou occasionnels de ce blog, une très bonne année 2012, de bonnes photos et surtout beaucoup de plaisir dans la photo. "L'Amour télémétrique" existe depuis bientôt 4 ans déjà et enregistre entre 650 et 1000 visites par semaine. Je vous en remercie et j'espère pouvoir continuer ma route avec vous.



L'année 2012 présente de belles et inquiétantes perspectives pour la photo. Je vais parler matériel un instant, que ceux à qui ça ne plaît pas sautent sur le paragraphe suivant. :)
Vous l'avez probablement entendu/lu/vu dans les médias ces derniers jours, la société Kodak a revendu récemment sa division capteurs (qui produisait le capteur du Leica M9), a arrêté le film noir et blanc Plus-X 125 (son plus ancien film, encore plus ancien que la Kodachrome) et s'apprête tout bonnement à mettre la clef sous la porte. Que la TMax disparaisse me laisse assez indifférent mais la Tri-X est LE film noir et blanc le plus emblématique de toute l'histoire de la photographie argentique, et la perspective de le perdre est vraiment difficile à admettre.
Paradoxalement, des rumeurs persistantes et partiellement confirmées bruissent du côté des constructeurs de boîtiers numériques, dont Fuji qui est aussi fabricant de films de qualité (Velvia, Neopan), annonçant de nouveaux boîtiers toujours plus orientés vers des marchés de niche, par exemple les pros ou "experts" prêts à investir entre 1500 et 3000 euros dans un système à viseur galiléen. Je parle de paradoxe parce qu'à chaque fois qu'un fabricant a misé sur ce type de produit (Olympus Pen E-P1, Lumix GF1, Sony Nex, Ricoh GR, Fuji X100... ), l'argument de vente ultime a été de dire que la qualité, l'ergonomie, la philosophie ou que sais-je rappelait celle des télémétriques argentiques. Il semble que ce soit LA comparaison qui fait vendre... cherchez le couac.

Alors je ne sais pas pour vous, mais ici je proclame envers et contre tout le marché que le film n'est pas mort. Et j'illustre cet édito 2012 d'une photo réalisée avec un vieux reflex Minolta SR-7 des années 1960, très lourd, à l'obturateur capricieux, aux mousses d'étanchéité complètement H.S., à l'optique bourrée de champignons et figée par des graisses qui ont durci. Et histoire d'enfoncer le clou, c'est une photo prise sur un film Tri-X poussé à 1600ISO et développé à la maison dans une tambouille éventée, remise en lumière sur un scanner grand public et non retouchée.

Le film n'est pas mort. Tous les boîtiers numériques qui seront achetés en 2012 seront hors service, inusables et/ou complètement périmés avant que le film ne disparaisse. La résistance ne fait que commencer. :)