vendredi 30 novembre 2012

Un léger glissement sémantique

A la suite du précédent billet et d'un certain nombre d'autres avant lui, la plupart portant le libellé "Lumière", j'en viens à me demander si, au fil des saisons, ma définition de la photographie et la pratique quotidienne qui me permet de la définir n'évoluent pas bêtement au gré des circonstances. Plus simplement : je prends des photos guidé par l'envie ou l'intuition, et je leur donne du sens après coup. Nicolas Bouvier l'a écrit dans la langue la plus simple qui soit : « Je fais clic quand quelque chose me fait signe. »



J'ai lu ce matin sur le site de Kirk Tuck un article intéressant et un brin provocateur qui rappelait que le choix d'un sujet à photographier était plus important que le choix de l'appareil photo. Premier niveau de lecture : je suis d'accord, bien sûr ! Discuter sans fin des outils ne permet pas — voire empêche — de réaliser concrètement des projets. Idem pour les techniques complexes de post-traitement, et ça ne date pas d'hier :


« Les photographes sont découragés et ne vont plus là où les choses se passent, ils photographient un coin de mur ou le bord de leur chaussure, trafiquent les négatifs, trafiquent les tirages et les assortissent d'un commentaire lacanien sur l'incommunicabilité. » — Nicolas Bouvier, 1977


Mais... si j'y réfléchis un peu plus, ce point de vue me paraît déjà biaisé dès le départ : il présume qu'il existe des sujets à photographier et que le point de départ d'une photo résulte donc d'un choix initial : celui du sujet qu'on souhaite photographier. Et là je dis "Couac".

Je dis "Couac" parce que H.C.-B., par exemple, nous a déjà prévenu que « Quand on veut, on obtient rien. Il ne faut pas vouloir. » Donc l'idée préalable de choisir un sujet avant même d'attraper l'appareil et d'aller au-devant du sujet est fausse. 


Et puis plus personnellement, de plus en plus souvent je prends des photos de rien, des photos sans sujet. Et en les prenant, en les redécouvrant ensuite sur le négatif, en les post-traitant, en les publiant sur des réseaux sociaux (Flickr, forums photo) je ne ressens pas le manque d'un visage ou d'une silhouette humaine, ni la nécessité que la photo soit figurative d'aucune manière que ce soit. Je suis bien incapable de classer toutes mes photos par sujet une fois qu'elles existent, alors s'il fallait le faire avant même de déclencher...

Je fais ma transition d'une définition de la photographie qui était "écrire avec la lumière", où la lumière était la matière dans laquelle se réalise l'image... à une autre définition dans laquelle la lumière serait une fin en soi, c'est-à-dire le seul et unique sujet de la photographie. Photographier, ce serait donc non plus "photographier avec la lumière" mais "photographier la lumière". Dans cette consigne programmatique, la lumière devient un complément d'objet direct, quotidien et familier.

« La seule présence de la caméra nous arrache un instant à la torpeur quotidienne et provoque un élargissement de la conscience. » — Nicolas Bouvier



Le matin par exemple, c'est toujours un peu la même photo de la même plage, du même fleuve, du même môle. C'est la même heure, la même saison, le même film. Le même appareil, le même photographe, la même humeur. Les mêmes passants, le même train-train, le même couple vitesse/ouverture. La même distance de mise au point, les mêmes réglages, il n'y a même pas à régler quoi que ce soit. Mais la lumière est différente et au final la photo l'est aussi.


Note : les citations de Nicolas Bouvier sont extraites d'un dossier
que lui consacre Paule Valois dans le numéro 2 de la revue "Destination photo".


Aucun commentaire: