lundi 4 octobre 2010

Sardinier

Ça fait longtemps que je suis attiré par les photos "en mer". L'activité de plaisance, pas trop mon truc. Mais le travail en mer, la rudesse des pêcheurs, leurs mains épaisses, les cirés recouverts d'écailles avec en arrière-goût l'odeur du mazout... Raahhhh ! N'en dites pas plus me voilà tout excité.

Pendant les derniers mois, j'ai passé pas mal de temps à admirer les photos de Michel Thersiquel tirées par Jean-Jacques Verlet-Banide (photographe installé à Locronan) pour l'ouvrage Une Bretagne profonde. Pour moi un reportage en mer c'est plus beau en noir et blanc, de préférence la nuit et il faut qu'il y ait "de la matière".

Je vous avais déjà parlé de la série "Chalutier" réalisée par Cyrille Rabiller. J'admire cette série, d'ailleurs je lui en ai acheté un tirage en septembre, mais je n'avais pas envie de faire la même chose. Simplement, de voir qu'il l'avait fait m'a poussé à le faire moi aussi.



Il y a eu un concours de circonstance. J'ai rencontré Robert et Nicole grâce à Yann. Un repas, l'occasion se présente de demander à être introduit... et me voilà quelques jours plus tard sur le quai de Saint-Guénolé. C'est le soir, Robert m'a filé un pack de bières pour ne pas que j'arrive les mains vides. J'embarque et vers 22H le bateau quitte le port.

Le patron avait prévenu ses gars discrètement : n'ayant rien pêché depuis une semaine, il faudrait peut-être pousser jusqu'à l'île de Sein. J'essaie de déconnecter mon cerveau de mon estomac. La mer est calme, c'est plutôt l'appréhension qui me fait un nœud dans le ventre. Mais une fois qu'on a dépassé les balises, le bateau file plus vite et les embruns me rafraîchissent. Je suis content d'être là, content de ne pas aller me glisser sous la couette ce soir.




Dis comme ça, ça a l'air simple : dans la baie d'Audierne, un bateau repère un banc de sardines. Il prévient les autres bateaux, qui rappliquent. Les bateaux se répartissent la zone. La nuit est tombée mais je vois les lumières des autres bateaux pas si loin.

J'interromps ma discussion dans la cabine avec le grand Bruno à propos de Daniel Pennac (il relit La Fée carabine, je n'ose pas lui dire que je ne l'ai jamais lu). Et la manœuvre commence, dans le noir.




Le bateau avance lentement et la bolinche se dévide à toute allure dans la mer. Je ne m'en rends pas bien compte mais on me dit qu'on fait un cercle. Le grand Bruno à l'arrière crie en direction de la cabine : "un quart ! ... moitié ! ... trois quarts !"

Alors le filet se resserre par le bas et piège le poisson dans une poche de 340 mètres par 70. Et le grand Bruno et ses camarades commencent à le remonter à la main, en tirant sur les bouées et en repliant tout ça comme il faut pour le prochain coup de filet.




Ça frétille à l'arrière du bateau, mais je ne me rends pas compte. Les gars savent déjà que la pêche est bonne. Le filet est resserré sur le flan du bateau à bâbord. Des flopées de mouettes s'affolent ; je n'aurais même pas pensé qu'on pouvait en voir de nuit. C'est là que les lumières s'allument et que je m'affole à mon tour.

Après, tout va très vite ; en tout cas pour moi. Au premier filet de sardines qui se présente au-dessus de la cale, je peaufine ma mise au point... et le temps que j'appuie sur le déclencheur, 200Kg de poissons viennent de tomber dans le trou. Je suis piqué au vif et je me mets un coup de pied au derrière pour m'approcher et déclencher plus vite.

Deux coups de filet, quinze tonnes de sardines. Les cales n'en prennent que quatorze alors la dernière est versée à même le pont. Une fois la manœuvre terminée, le bateau trace vers le port. La ligne de flottaison à la proue est drôlement haute. Quand la mer n'est pas si calme, on ne peut pas remplir le bateau comme ça. Les gars à bord se détendent, fument un clope. L'ambiance est joviale, on me demande si je compte revenir dans la semaine.

On n'est qu'à la moitié de la nuit et on sera les premiers à revenir. Un autre bateau a craqué son filet ; les membres d'équipages passeront le reste de la nuit à réparer sur le quai et ils n'auront pas de salaire.

Tout ça c'est une sacrée galère. Mais je crève d'envie d'y retourner.


Mise à jour : les photos sont désormais visibles ICI.



Zeiss Ikon + Canon 35/1.5 LTM
Ilford HP5+ exposée à 1600ISO & Ilford Ilfotec LC29

15 commentaires:

eric festinger a dit…

Cette idée me trotte depuis pas mal de temps dans la tête...

'serait p'têt le temps que je me bouge...


C'est superbe !

Nicolas a dit…

Merci beaucoup Eric.
C'est une expérience... lance-toi !
;)

Ivan Bu a dit…

Encore encore, on veut voir la suite !
En tout cas, bravo !

Francois a dit…

Très bon. Je t'encourage pour l'exposition, je pense que le rendu en grand format va être terrible.

Nicolas a dit…

Merci Ivan.
Pour le moment, je m'arrête à la sélection que j'ai faite sur Viewbook... je ne veux pas noyer le poisson. :P

Nicolas a dit…

Merci François. Je te mentirais en disant que je n'ai pas hâte de voir ces images sur du vrai papier photo au format 20x30... :)

Vinh Lê Cao a dit…

genial l'histoire, pour moi un peu pêcheur, ça donne trop envie ! :)

Nicolas a dit…

Merci Vinh !
;)

Denis G. a dit…

Une fois n'est pas coutume, je vais aller à l'encontre des commentaires des autres (désolé!). Si j'adore le texte qui nous mets bien dans l'action, je trouve que les photos sont moins percutantes que ce à quoi tu nous as habitués. En même temps, cela colle assez bien au texte et aux conditions difficiles de prises de vue. Je reste donc un peu sur ma faim mais je suis sur qu'il y a aussi une part d'adaptation à la situation et que les photos de tes prochaines sorties en mer me plairont d'avantage!

Nicolas a dit…

Merci Denis pour ta franchise. Et c'est toujours intéressant d'avoir des avis différents. ;)

Pour ce billet sur le blog, j'ai volontairement resserré la sélection autour de photos partiellement floues. Je voulais que la sélection pour le blog forme une unité différente de celle que j'ai publiée sur Viewbook, qui est plus complète.

On m'a dit (sur Summilux) que le flou des deux premières, en particulier, avait quelque chose de poétique. Je suis assez d'accord et en même temps j'imagine que ça peut ne pas plaire.

Je ne vais pas prétendre que j'avais franchement le choix de faire du flou ou pas : j'étais à 1600ISO, f/2.8 pour la plupart et il y a ce roulis continuel, même par mer calme. Mais j'en ai pris mon parti et je l'assume pour ce billet.

N'empêche, s'il n'y avait pas le reste de la série (voir Viewbook), je ne les aimerais pas non plus ces quelques photos floues.

Amitiés... ;)

Denis G. a dit…

Hier soir après avoir posté mon commentaire j'ai vu sur FB que tu avais mis à jour ton Flickr. et les photos que j'y ai vu me plaisaient bien d'avantage! du coup je me suis dit que j'avais eu la dent bien dure.
Ce matin, je regarde ton viewbook et cela confirme partiellement cette dernière impression, tu n'as pas perdu ton oeil ;)
Ton choix éditorial sur ce post est assez déroutant au premier abord car peut être trop répétitif dans le "flou". Du coup, avant le contenu de la photo, c'est ce qui me saute aux yeux et là une petite déception de ne pas reconnaitre la "Nicolas' touch". D'autres photos de la série étaient plus dans la lignée de tes travaux précédents et m'auraient d'avantage plut en première lecture (et je pense me plairaient toujorus maintenant d'avantage). Néanmoins c'est ton choix et je le respecte d'autant plus qu'il est assumé (la preuve toutes tes photos ne sont pas flous dans ta série ;) )

Pour diverger un petit peu, c'est une des grosses difficultés de l'édition d'une série. Lorsque j'ai véritablement commencé à me (re)plonger dans la photo il y a trois ans, il me semblait évident qu'une édition se faisait avec les "meilleures photos" (ce qui en soit est déjà subjectif malgré tous les critères qu'on veut donner), depuis j'ai découvert que c'est d'abord très difficile de faire des choix, qu'ensuite les critères de choix orientent le regard de l'autre sur la série, que le regard de l'autre peut d'ailleurs être un des éléments du choix (pour aller dans le même sens ou dans le sens contraire) et que c'est également un portrait en creux du photographe.

Dur dur d'avoir des fans qui deviennent (très) exigeants!!!! ;)

Nicolas a dit…

:D
Merci Denis d'avoir bien voulu faire une deuxième lecture. Dur dur d'avoir des "fans" aussi intègres dans leur jugement... Si je me plante et qu'ils me le disent, je saurai qu'ils ont raison. ;)

Alexandre Maller a dit…

Une belle série, qui change beaucoup par rapport à ce qu'on connaît de toi... Quelle polyvalence ! ;)

J'aime ces images très intenses, avec une matière très dense et un texte qui participe beaucoup à l'ambiance...

J'avoue que j'ai hâte de voir ça sur un baryté, je pense que ça prendra encore une autre dimension.

A bientôt !

Seb a dit…

Salut !
Ca fait un moment que je ne suis pas venu par ici. Très beau projet et belles images. De la matière, de la lumière, du flou... j'aime beaucoup ça. Bravo !

Seb

le Bison a dit…

Bonjour,

Cela fait longtemps que je te suis aussi bien sur cet amour télémétrique que sur l'ancien Bal... Et cela faisait longtemps que je n'avais pas pris le temps de laisser un p'tit comm...

Connais-tu Simon Leys ? Bien entendu... Je n'en doute pas une seule seconde. En lisant son récit sur un thonier de l'ancien temps, Prosper, j'ai eu envie d'utiliser une de tes photos personnels sur le sardinier. tu me diras : "sardinier et thonier, c'est pas pareil". Et ma foi, tu auras certainement raison. Enfin, si cela t’embêtes que j'utilise cette photo, aucun problème, j'ai ce fabuleux pouvoir de la retirer quand je veux...

En attendant, bon vent. J'espère que tu reprendras le large pour pouvoir refaire une autre exposition sur les sardiniers (ou autre)...