Combien d'entre vous collectionnent les appareils photo et voient du même coup leur budget de voyages se réduire comme peau de chagrin ? Ça a été mon cas jusque récemment, mais je me soigne. Depuis septembre, j'ai revendu à peu près les deux tiers de mon matériel. Certains lecteurs associent mes photos à tel ou tel appareil : ils seront surpris d'apprendre que je n'ai plus de Rittreck ni de Bronica, plus d'Hexar ni de Zeiss Ikon, plus de reflex 24x36 d'aucune marque, plus de compact... j'ai même fait le vide d'absolument tous mes films négatifs couleurs.
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Est-ce qu'en ayant consenti cet effort, je peux me permettre un tour du monde ? Pas vraiment... mais mes étagères sont plus légères, et mon esprit aussi. Je sens que j'évolue vers une sorte d'ascèse non seulement dans mon rapport matérialiste à la photo, mais aussi dans la façon dont je prends/construis/découvre des photos. Je m'efforce de laisser venir les choses, de ne pas chercher à faire une image, de ne pas chercher tout court. Jusqu'ici j'avais toujours pensé que la citation de Picasso était prétentieuse, mais finalement elle peut tout aussi bien être humble :
« Je ne cherche pas : je trouve. »
Je ne sais plus quel photographe a écrit qu'il n'y a pas besoin de partir plus loin que le coin de la rue pour faire une bonne photo, mais c'est vrai. Je ne fais pas souvent une bonne photo, mais j'arrive à photographier assez simplement et à me satisfaire de quelques photos correctes de-ci de-là. Dans l'acte photographique, je suis moins frustré qu'il y a quatre ans.
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On demande à Henri Cartier-Bresson, vers la fin de sa vie (au moment où il dessinait, ayant abandonné la photo) si on peut apprendre à regarder, et lui de répondre « Est-ce qu'on apprend à baiser ? » avant de suggérer d'aller au Louvre admirer les toiles de Rubens, qui apprennent à regarder car elles sont magnifiquement composées et qui donnent aussi envie d'amour. Pas seulement d'amour physique, mais d'amour. Est-ce que Cartier-Bresson ne parle d'amour que pour parler d'harmonie ? Je ne crois pas. Car un peu plus loin, il dit que son plus grand plaisir dans la photo, c'était le tir photographique : le(s) moment(s) où l'on appuie sur le déclencheur.
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Il paraît que les adeptes de la course à pieds produisent des endorphines en courant, et que cela provoque en eux une accoutumance comme le ferait la morphine. De la même manière, je ressens le besoin de déclencher chaque jour, et une certaine frustration les jours où je ne déclenche pas, ou pas bien. C'est une petite frustration que j'ai appris à gérer, à faire taire si besoin, mais elle est là, elle grossit quand même d'heure en heure, me donne mauvaise conscience si je ne sors pas de tout le jour.
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Alors je désacralise l'acte du déclenchement. Non pas pour le banaliser ni le rendre anodin, surtout pas. Mais dans l'idée de faire mes gammes : on ne joue pas un concert sur scène tous les soirs. Pour cela, rien de mieux que le coin de ma rue, que les recoins de ma ville.
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J'invite deux amis rennais pour le week-end, on mange, on boit, on rit et on discute. Et puis on marche trois heures autour du bassin, à deux pas d'ici. Je gribouille trois pellicules de 36 poses Agfa sous un soleil très dur, je me fatigue les pieds, les genoux, le visage. Les mains fonctionnent encore mais les yeux ne voient plus. On rentre et quelques temps après, on découvre ce qu'on a pris dans les filets. Oh rien de très intéressant en soi, mais c'est toujours la même histoire : fixer un peu de lumière sur quelques sels d'argent.
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Combien de photographes aventuriers, de globe-trotters aveugles ? Cartier-Bresson disait que les voyages l'ennuyaient : ce qu'il aimait c'était s'arrêter dans un pays pour l'observer. Le seul et unique voyage à ne pas laisser passer, c'est celui qu'on fait en soi-même.
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4 commentaires:
Je cherchais quelque chose d'intelligent à ajouter mais, là, ça vient pas...
Du coup c'est juste un mot pour dire que tu es lu et apprécié.
Merci beaucoup François. Heureusement que j'ai quelques mots d'encouragement par-ci par-là parce que bien souvent, dès que j'ai publié un nouvel article, je suis pris d'un sérieux doute... Enfin, mieux vaut en rire !
Bonjour Nicolas,
Beau recul sur le matérialisme, le rapport à l'objet photographique. Ta vision de la photo est dénuée de superflu... Cet article m'a touché par une maturité et une lucidité que j'envie! Merci!
Ps: Et dire que je venais pour trouver des informations sur les MF Bronica... :D
Merci beaucoup Jérôme, tu me donnes l'occasion de me relire, chose que je ne fais souvent. Ça fait plaisir d'avoir des retours sur des billets comme celui-là.
;)
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