samedi 23 octobre 2010

Protest

J'ai commencé par suivre assez mollement les manifs contre la réforme des retraites. J'étais dans le cortège au printemps, j'y étais encore en septembre mais je me sentais assez peu concerné. Au sens photographique, pas impliqué dans le sujet.

Jusqu'au moment où la rue a commencé à se radicaliser, en bas de chez moi. Un soir, j'arrive pour rejoindre le cortège en fin de parcours mais je m'aperçois qu'il s'est déjà dissipé. Un vague mouvement de plusieurs petits groupes de personnes semble se diriger vers le front de mer. En arrivant aux abords de la préfecture, je constate qu'autour de moi tout le monde s'arrête là, sous les chênes, et se met à attendre.

Jusqu'au premier jet de bouteille de bière, auquel répond le premier jet de lacrymo. Et c'est parti pour l'affrontement. 100 civils contre 100 gendarmes.

Ce soir-là, je me prends des débris de verre sur la tête et je vais au contact. Je rentre dans le sujet, et le sujet n'est pas loin de me rentrer dedans.


Depuis, le déclencheur s'est assoupli. Tellement, à vrai dire, qu'une vis a sauté dans le dos de mon Bronica : ça tournait trop vite, il faisait trop chaud.


Les gars du service propreté ont mis le feu au bitume après avoir allongé une trentaine de poubelles en travers d'un des principaux axes du centre-ville. Un peu plus tard, je rejoins la raffinerie de Donges...

Blocage reconductible. Avant l'aube, le Préfet choisit 4 ou 5 noms parmi ceux désignés par les gérants de la raffinerie. Des gendarmes sont envoyés pour réquisitionner les types chez eux, à 6H du matin. Menace (devant les enfants) : 6 mois d'emprisonnement et 10 000 euros d'amende.

De 7H à 8H, toutes les radios annoncent que la raffinerie est débloquée. A 9H, les grévistes reprennent le blocus du site pour toute la journée.
Avant le J.T. de 20H, le programme de télé-réalité peut reprendre : les C.R.S. donnent l'assaut.

Mais c'est pas fini tant que c'est pas fini.







Zenza Bronica C
Zenzanon MC 80/2.8 + Zenzanon 100/2.8
Fuji Neopan 400, Kodak Tri-X
Kodak Xtol & Ilford Ilfotec LC29
Davantage de photos par ici et .

lundi 4 octobre 2010

Sardinier

Ça fait longtemps que je suis attiré par les photos "en mer". L'activité de plaisance, pas trop mon truc. Mais le travail en mer, la rudesse des pêcheurs, leurs mains épaisses, les cirés recouverts d'écailles avec en arrière-goût l'odeur du mazout... Raahhhh ! N'en dites pas plus me voilà tout excité.

Pendant les derniers mois, j'ai passé pas mal de temps à admirer les photos de Michel Thersiquel tirées par Jean-Jacques Verlet-Banide (photographe installé à Locronan) pour l'ouvrage Une Bretagne profonde. Pour moi un reportage en mer c'est plus beau en noir et blanc, de préférence la nuit et il faut qu'il y ait "de la matière".

Je vous avais déjà parlé de la série "Chalutier" réalisée par Cyrille Rabiller. J'admire cette série, d'ailleurs je lui en ai acheté un tirage en septembre, mais je n'avais pas envie de faire la même chose. Simplement, de voir qu'il l'avait fait m'a poussé à le faire moi aussi.



Il y a eu un concours de circonstance. J'ai rencontré Robert et Nicole grâce à Yann. Un repas, l'occasion se présente de demander à être introduit... et me voilà quelques jours plus tard sur le quai de Saint-Guénolé. C'est le soir, Robert m'a filé un pack de bières pour ne pas que j'arrive les mains vides. J'embarque et vers 22H le bateau quitte le port.

Le patron avait prévenu ses gars discrètement : n'ayant rien pêché depuis une semaine, il faudrait peut-être pousser jusqu'à l'île de Sein. J'essaie de déconnecter mon cerveau de mon estomac. La mer est calme, c'est plutôt l'appréhension qui me fait un nœud dans le ventre. Mais une fois qu'on a dépassé les balises, le bateau file plus vite et les embruns me rafraîchissent. Je suis content d'être là, content de ne pas aller me glisser sous la couette ce soir.




Dis comme ça, ça a l'air simple : dans la baie d'Audierne, un bateau repère un banc de sardines. Il prévient les autres bateaux, qui rappliquent. Les bateaux se répartissent la zone. La nuit est tombée mais je vois les lumières des autres bateaux pas si loin.

J'interromps ma discussion dans la cabine avec le grand Bruno à propos de Daniel Pennac (il relit La Fée carabine, je n'ose pas lui dire que je ne l'ai jamais lu). Et la manœuvre commence, dans le noir.




Le bateau avance lentement et la bolinche se dévide à toute allure dans la mer. Je ne m'en rends pas bien compte mais on me dit qu'on fait un cercle. Le grand Bruno à l'arrière crie en direction de la cabine : "un quart ! ... moitié ! ... trois quarts !"

Alors le filet se resserre par le bas et piège le poisson dans une poche de 340 mètres par 70. Et le grand Bruno et ses camarades commencent à le remonter à la main, en tirant sur les bouées et en repliant tout ça comme il faut pour le prochain coup de filet.




Ça frétille à l'arrière du bateau, mais je ne me rends pas compte. Les gars savent déjà que la pêche est bonne. Le filet est resserré sur le flan du bateau à bâbord. Des flopées de mouettes s'affolent ; je n'aurais même pas pensé qu'on pouvait en voir de nuit. C'est là que les lumières s'allument et que je m'affole à mon tour.

Après, tout va très vite ; en tout cas pour moi. Au premier filet de sardines qui se présente au-dessus de la cale, je peaufine ma mise au point... et le temps que j'appuie sur le déclencheur, 200Kg de poissons viennent de tomber dans le trou. Je suis piqué au vif et je me mets un coup de pied au derrière pour m'approcher et déclencher plus vite.

Deux coups de filet, quinze tonnes de sardines. Les cales n'en prennent que quatorze alors la dernière est versée à même le pont. Une fois la manœuvre terminée, le bateau trace vers le port. La ligne de flottaison à la proue est drôlement haute. Quand la mer n'est pas si calme, on ne peut pas remplir le bateau comme ça. Les gars à bord se détendent, fument un clope. L'ambiance est joviale, on me demande si je compte revenir dans la semaine.

On n'est qu'à la moitié de la nuit et on sera les premiers à revenir. Un autre bateau a craqué son filet ; les membres d'équipages passeront le reste de la nuit à réparer sur le quai et ils n'auront pas de salaire.

Tout ça c'est une sacrée galère. Mais je crève d'envie d'y retourner.


Mise à jour : les photos sont désormais visibles ICI.



Zeiss Ikon + Canon 35/1.5 LTM
Ilford HP5+ exposée à 1600ISO & Ilford Ilfotec LC29